Après la timide tentative d’ouverture du rapport précédent (2000) intitulé « La sécurité par la coopération » et qui n’a pas encore reçu de vraie traduction dans les faits, on sait d’ores et déjà que la mouture de 2010 issue du DDPS pourra s’appeler « La sécurité par la coagulation », version sanguine de la théorie du réduit, tendance franchement autarcique.
L’axiome de base est simple : la menace est militaire et vient de l’extérieur. Il s’agit de défendre pied à pied le territoire, et de s’en tenir à cela. Un homme armé d’un fusil derrière chaque arbre le long de la frontière. L’ennemi ne passera pas ! Conséquence : on entre en blocus et on attend que ça passe. Rompez !
Sauf que ce concept si désarmant de simplicité ne résiste pas longtemps à l’examen de la réalité environnante. Malheureusement, entre une UDC crispée sur un passé révolu et des Verts et une partie de la gauche obnubilés par un pacifisme abstrait, la classe politique fédérale a déserté les réflexions de fond sur le thème de la sécurité.
C’est dommage car ce thème représente une des préoccupations les plus importantes, sinon la plus importante, d’une population plus que jamais soucieuse de la défense des intérêts helvétiques. En particulier au moment où la Suisse connaît dans ses relations étrangères un abandon de souveraineté sans précédent dans le domaine bancaire et une capitulation inouïe devant les exigences insensées d’un lointain dictateur, sans oublier les autres avanies internationales subies ces dernières années en matière de politique de sécurité économique, énergétique ou environnementale.
Où sont nos intérêts stratégiques aujourd’hui et quels sont nos outils pour les défendre ? Telle est la question à laquelle aurait dû répondre le RAPOLSEC 2010. Dans le droit fil de cette interrogation, investissons-nous les bons moyens dans une politique de sécurité qui déploie de réels effets ? Poser la question, au regard de l’actualité internationale de la Suisse, c’est y répondre.
Soyons francs. La Suisse est isolée et à la merci de la première pression internationale, agissant souvent à contretemps et sur la réserve, sans vision concertée. Bref, aujourd’hui, la Suisse est sans défense. Pourtant, elle investit chaque année près de quatre milliards dans un instrument de sécurité justifiant entre autres un ministère éponyme…
Depuis la chute du Mur il y plus de vingt ans, la Suisse n’a pas réellement changé de paradigme en matière de politique de sécurité. Là où les gardiens de musée voient encore les frontières comme une menace, c’est en réalité les menaces qui n’ont plus de frontières. Les conflits modernes sont transnationaux, davantage civils que militaires, et sans contingences géographiques précises, à l’image de l’affaire des pirates somaliens.
La sécurité du pays et celle de ses ressortissants sont devenues deux notions distinctes, comme en témoigne la question des otages. Et la neutralité absolue est simplement sans objet pour un Etat de droit occidental, chrétien, opulent dont l’existence même est une insulte pour certains fondamentalistes idéologiques.
Dans ce contexte, l’existence d’un instrument de sécurité tel qu’une armée essentiellement basée sur un concept de défense territoriale procède au mieux du folklore collectif bien entretenu et au pire de l’épouvantail de plus en plus dégarni et donc de moins en moins crédible. Car si l’armée devrait nous rassurer sur la pérennité de nos mythes fondateurs, elle ne peut que nous inquiéter quant à notre capacité de comprendre et affronter les défis du monde moderne.
En effet, le principal instrument de notre politique de sécurité est aujourd’hui déboussolé car sans ennemi traditionnel et donc sans finalité claire. L’ennui, c’est qu’on le dit depuis vingt ans et que les réformes successives n’y ont rien changé. Au contraire, elles ont même renforcé cette « ligne Maginot » politique en différant les débats de fond et en nous empêchant de regarder le monde en face, à l’image de notre ministre affirmant sa volonté de réduire les engagements à l’étranger au seul cadre « humanitaire », au demeurant fort vague et sans grande prise de risques.
Or des risques, il s’agira d’en prendre car l’enjeu de la sécurité nationale dépasse les frontières, comme on l’a vu précédemment. Pour la Suisse comme pour ses voisins, il n’est définitivement plus possible de se tenir à l’écart des conflits internationaux, tant les intérêts stratégiques du pays sont liés à l’évolution de certaines zones de la planète.
D’autre part, la stabilité et la sécurité intérieures sont également vitales en Suisse. De ce point de vue, la situation sécuritaire vécue dans les rues des grandes villes suisses devrait dicter un transfert rapide de moyens financiers sur des problématiques autrement plus pénibles que les grandes manœuvres dans le réduit alpin.
Enfin, on sait les efforts à fournir en matière de guerre électronique et de services de renseignements, tout comme sur le front de la lutte contre le terrorisme, domaines malheureusement encore très sous-estimés dans la Suisse de ce début de XXIe siècle.
Tout cela ne se fera pas sans « coopération », pour reprendre le terme pudiquement employé à Berne lorsqu’on veut éviter de parler d’alliance. En clair, cela nécessitera de faire circuler les idées et réformes en donnant de l’oxygène à une armée profondément revue dans sa structure et son fonctionnement, plutôt que de figer, de « coaguler », ce qui ce qui tient artificiellement lieu de « politique de sécurité ».