Monsieur Müller-Brunner, comment se porte l’AVS aujourd’hui ?
Pas vraiment bien, pour un patient humain, on parlerait probablement d’un état critique. Un bon indicateur pour mesurer la santé financière de l’AVS est ce qu’on appelle le résultat de répartition. Il mesure la part des dépenses courantes des retraites qui est couverte par les recettes annuelles. De 2014 à 2020, ce résultat était négatif, avec une tendance à la hausse. Depuis, l’AVS peut se maintenir financièrement à flot – mais uniquement parce que, depuis début 2020, 2 milliards de francs supplémentaires sont injectés chaque année dans l’assurance sociale (suite à l’adoption de la RFFA). A titre de métaphore, c’est une transfusion de sang qui ne parvient pas à stopper la véritable hémorragie, pour ainsi dire.
Le 25 septembre, nous voterons sur la réforme AVS 21. Comment évaluez-vous le projet du point de vue de l’Union patronale ?
AVS 21 est un bon compromis. Les employeurs ont toujours plaidé pour que l’AVS ne reçoive pas seulement une injection de fonds, car il faut des mesures structurelles et financières. C’est chose faite avec la flexibilisation de l’âge de la retraite, l’harmonisation de l’âge de référence pour les femmes et les hommes et les recettes supplémentaires générées par l’augmentation de la TVA. Nous soutenons donc le projet, tout comme les deux autres organisations faîtières, economiesuisse et l’Union suisse des arts et métiers.
La dernière grande réforme de l’AVS a abouti il y a 25 ans. Que faut-il pour qu’AVS 21 soit un succès ?
Ce qui me semble le plus important, c’est que la population prenne conscience de la nécessité de ce projet. Au cours des 25 dernières années, on s’en est sorti sans réforme, ce que les opposants ne manquent pas de mettre en avant. Mais nous devons garder cela à l’esprit : Nous avons vécu une période incroyablement bonne sur le plan économique, avec de beaux taux de croissance et une forte immigration. Tout cela a permis à l’AVS, avec le financement supplémentaire, de rester à flot. Mais dès que cette évolution s’affaiblit – et les signes ne sont pas particulièrement positifs en ce moment – les chiffres de l’AVS s'effondrent comme un château de cartes. Nous devons donc faire comprendre à la population : Un Non signifie que nous nous retrouvons sans solution pour l’avenir.
AVS 21 peut-elle stabiliser le premier pilier ?
A court terme, oui. En combinant les mesures structurelles et financières, les différents éléments se renforcent mutuellement, ce qui a un effet stabilisateur sur les finances de l’AVS. Mais nous sommes également d’accord sur le fait que le premier pilier a un problème à long terme en raison de l’augmentation de l’espérance de vie et de l’évolution démographique, et que ce problème ne peut être résolu qu’à long terme. Le projet de réforme actuel est donc une première étape intermédiaire importante dont nous avons besoin de toute urgence. Mais ensuite, nous devons établir un rythme de réforme afin de pouvoir réagir aux changements extérieurs. C’est pour cela que le Parlement a chargé le Conseil fédéral de présenter un nouveau projet d’ici fin 2026.
Les opposants à la réforme mettent en avant un désavantage apparent pour les femmes. Est-ce justifié ?
Absolument pas ! La gauche est tellement prise dans ses schémas idéologiques qu’elle a perdu de vue la réalité : La réforme aide justement le plus les femmes que les opposants aiment défendre. Deux exemples : si une personne a des lacunes de cotisation à l’AVS, par exemple à cause d’une sous-rémunération, cela est irrémédiablement perdu dans le système actuel. En revanche, avec la réforme de l’AVS proposée aujourd’hui, il est possible de rattraper des années de cotisation perdues et d’éviter ainsi une réduction de sa rente à vie. Deuxième exemple : chaque femme de la génération de transition, c’est-à-dire chaque femme née entre 1961 et 1969, les premières impactées par l’harmonisation de l’âge de la retraite, a le choix : soit elle peut travailler plus longtemps et recevoir un supplément de rente à vie allant jusqu’à 1920 francs par an, soit elle peut quand même prendre sa retraite à 64 ans avec des taux de réduction de rente massivement plus bas qu’auparavant. Nous avons ainsi une réforme qui prend les mesures nécessaires : des mesures de compensation ciblées pour les personnes réellement concernées au lieu d’augmentations des rentes pour tous selon le principe de l’arrosoir.
En tant qu’expert d’association, vous avez un point de vue extérieur sur la politique. La nécessité d’agir dans le domaine des assurances sociales est-elle suffisamment reconnue ?
Je ne pense pas que ce soit la reconnaissance de la nécessité d’agir qui manque, mais des conséquences qui en découlent. En fait, tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut des solutions. Mais dès que l’on passe au concret, les disputes commencent. C’est peut-être là un dilemme fondamental : si nous ne voulons pas laisser un désastre aux générations futures, nous devons prendre aujourd’hui des mesures qui font mal par endroits, et pas seulement en discuter. Pour la prévoyance vieillesse, la réforme de l’AVS offre une bonne opportunité.
Que souhaitez-vous pour l’avenir de la prévoyance vieillesse suisse ?
Au fond, nous avons un problème aberrant avec la prévoyance vieillesse : le monde évolue, l’espérance de vie augmente, les modèles de travail changent. Mais à l’inverse, le système de la prévoyance est désuet et n’a pas été modernisé depuis plus de 25 ans. Je souhaiterais donc que l’on trouve des moyens pour enfin réformer l’AVS.
Interview: Marco Wölfli