L’initiative «entreprises responsables» veut introduire un cadre normatif qui impose aux entreprises un devoir de diligence pour elles et les entreprises sur lesquelles elles exercent un contrôle (leurs succursales ou des sous-traitants qui dépendent d’elle économiquement). Mais le texte va plus loin en introduisant aussi une responsabilité civile devant les tribunaux suisses pour des atteintes aux droits de l’homme ou aux normes environnementales à l’étranger, y compris pour des actes de filliales voire de fournisseurs.
Qui peut s’opposer aux buts de l’initiative? Personne évidemment ne souhaite que des entreprises, leurs succursales ou leurs sous-traitants agissent mal à l’étranger. Le débat tourne donc autour des moyens mis en place pour atteindre cet objectif, leur pertinence, leur réalisme et leurs effets secondaires. Là, deux visions s’opposent. Celle des initiants d’une part, et celle du Parlement et du Conseil fédéral de l’autre, qui ont élaboré un contre-projet indirect qui entrera en vigueur si l’initiative est rejetée.
Une initiative excessive
Il y a de nombreuses raisons économiques à s’opposer à l’initiative et à y préférer le contre-projet, notamment parce que la Suisse serait le seul pays au monde à adopter une législation aussi intrusive et parce que les PME ne sont que très partiellement épargnées par l’initiative, alors que le contre-projet cible les seules entreprises de plus de 500 collaborateurs. Mais il y a sutout de bonnes raisons de principe à rejeter l’initiative.
L’une d’entre elles est que l’initiative repose sur une vision paternaliste du monde. Elle prévoit que les entreprises suisses puissent être poursuivies en Suisse pour des fautes commises à l’étranger par d’autres: leurs filiales ou succursales. On considère donc que les autres Etats, en particulier ceux en voie de développement, ne sont pas assez mûrs pour que leur système judiciaire traite de ces abus. C’est en Suisse qu’on jugerait de ce qui est bien et de ce qui est mal pour le monde entier. Nous nous arrogerions ainsi le droit d’imposer nos valeurs dans le monde entier, dans une sorte d’impérialisme juridique qui ressemble peu aux habitudes suisses. Et si les normes des droits de l’hommes sont bien établies, quel droit faudrait-il appliquer en matière de protection de l’environnement, pour lequel il n’existe que peu de standards internationaux? Va-t-on appliquer les valeurs suisses en Afrique ou en Chine et poursuivre les sous-traitants locaux devant nos tribunaux? Un tribunal régional suisse devra-t-il administrer les preuves et juger d’un problème survenu dans une entreprise locale située au Sénégal ou en Colombie?
Cette volonté d’extraterritorialité se heurte à la souveraineté des autres Etats et aux règles usuelles du droit international privé et elle ne correspond à aucun standard international. Elle se confrontera aussi à des obstacles pratiques importants: la justice suisse n’étant pas autorisée à enquêter à l’étranger, elle devra compter sur l’entraide judiciaire des autorités des pays, ceux-là mêmes qu’on estime pas assez aptes à appliquer le droit sur leur territoire! L’entraide judiciaire déjà souvent lente et pas toujours efficace n’en sera sûrement pas accélérée.
Pas de statu quo
Le contre-projet indirect du Parlement prévoit, lui, des mesures plus appropriées au bon fonctionnement de notre économie, sans pour autant vider le projet initial de sa substance. Il prévoit une obligation d’établir des rapports annuels notamment sur les questions sociétales, environnementales, de respects des droits de l’homme et de lutte contre la corruption. Un devoir de diligence est prévu dans les domaines les plus sensibles : les minerais provenant de zones de conflits et la lutte contre le travail des enfants. En cas de non-conformité, des amendes jusqu’à 100'000 Frs pourront être prononcées. Les rapports seront publics, ce qui incitera les entreprises, soucieuses de leur réputation, à se conformer aux normes et bonnes pratiques. On est loin des rapports «alibi» décriés par les initiants. La Suisse aura ainsi l’une des législations les plus strictes au monde, qui s’inscrira dans un cadre comparable à celui de l’Union européenne.
Il n’y aura pas de satut quo sur ce dossier: en cas de non à l’initiative le 29 novembre, le contre-projet du Parlement (que l’on peut consulter sur le site de l’office fédéral de la justice www.ofj.admin.ch) entrera immédiatement en vigueur, reprenant les axes importants de l’initiative mais sans ses excès et tout en s’inscrivant dans un mouvement international.
Je vous invite à voter non à l’initiative le 29 novembre, donc à dire, indirectement, oui au contre-projet, pour que nos entreprises restent responsables mais que la Suisse ne se prétende pas le gendarme moral de la planète.
Damien Cottier, conseiller national NE